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Hervé Makebel : « Les pays en développement plaident pour une augmentation du financement pour l’adaptation »

L’expert en finance climatique, chef du département climat jeune volontaires du Cameroun et membre de Mouvement pour la Justice climatique, Hervé Makebel, apporte des éclairages sur la provenance des financements pour la préservation de l’environnement.

Quelles sont les différentes sources de financements climatiques ?

D’emblée la finance climatique est jusqu’ici entendue comme un financement qui a pour but de promouvoir les actions et/ou initiatives d’atténuation (réduction des émissions /séquestration de GES) et d’adaptation (renforcement des systèmes humains et naturelles aux risques climatiques). Ainsi, on en distingue deux (02) sources : publiques et privées. Les sources publiques peuvent provenir soit des bailleurs de fonds internationaux (GCF, GEF, AF, etc.), soit du Financement national (Budget national, Impôts et taxes, etc.), soit encore de la taxe carbone. Les sources privées peuvent être par exemple des donateurs privés (philanthropies, RSE), des Institutions financières (banques, compagnies d’assurance, fonds de pension, gestionnaires d’actifs, etc.), des Entreprises, des Ménages ou même encore des Marchés du carbone.

Notons toutefois qu’il y a une troisième catégorie de financement climatique qu’on appelle financements innovants mais pour lesquels des discussions sont en cours quant à leur encadrement. Ce sont par exemple les Obligations vertes (Green Bonds), les Échanges de dette contre action climatique (Debt-for-Climate Swaps), la Taxe carbone internationale, la Taxe sur les transactions financières, le Financement basé sur les résultats (Results-Based Finance), le Financement mixte, les Mécanismes d’assurance climatique, les Fonds souverains climatiques, Crypto-monnaies vertes, entre autres.

Des objectifs de financement climatique ont été fixés pour préserver l’environnement. Notamment le projet de 100 milliards de dollars qui n’a pas atteint les résultats escomptés. Aujourd’hui les perspectives d’augmentation de la cagnotte sont à 1300 milliards de dollars, dix fois plus que la précédente recommandation. Et cela intègre le principe de pollueur-payeur. Vu que la première recommandation a échoué et les attentes sont sans cesse croissantes. Au regard des faits, est-ce qu’il y a lieu de croire que les prochaines recommandations qui seront adoptées lors de COP 29 pourront aboutir selon vous ?

Nous sommes optimistes quant à l’aboutissement des recommandations prochaines de la COP29 qui se tiendra du 11 au 22 novembre 2024. Relevons déjà que le projet de 100milliards USD était plus politique par nature et visait à rétablir la confiance entre les Parties. Il n’était pas fondé sur des éléments scientifiques, ni dérivé des besoins des pays en développement.

Actuellement, les discussions et négociations sont en cours pour la validation et l’adoption d’un nouvel objectif chiffré collectif (NCQG en anglais), qui serait plus aligné sur les besoins des Pays en Développement (PED), d’où le montant de 1300 milliards USD/an jusqu’en 20230 mentionné. Les Parties et les observateurs continuent d’en débattre tout en tirant des enseignements sur l’objectif des 100 milliards de dollars, notamment pour ce qui est de la provision et de la mobilisation du financement climatique. Lors de la COP 26 à Glasgow en 2022, un programme de travail ad hoc avait été lancé pour initier les délibérations du NCQG devant théoriquement aboutir à la COP29.

Les pays en développement ne cessent de plaider pour une augmentation du financement pour l’adaptation afin de rééquilibrer l’allocation des financements climatiques entre l’atténuation et l’adaptation. Certes certains fonds climat tel que le Fonds vert pour le Climat (FVC) ont commencé à mettre en œuvre des stratégies d’allocation plus équilibrées mais dans l’ensemble, le financement climatique reste dirigé de manière disproportionnée aux efforts d’atténuation ; ce qui est regrettable quand on sait que les PED ont plus besoin de fonds pour l’adaptation. D’où nous espérons que les recommandations de la COP29 pourront changer la donne en s’appuyant sur le NCDG à venir.

Les acteurs de lutte contre la détérioration de l’environnement notamment Greenpeace Afrique ont formulé des doléances auprès du président du groupe africain de négociation (AGN) sur le nouvel objectif collectif et quantifié qui intègre la nécessité de l’industrie des combustibles fossiles et les autres secteurs fortement émetteurs de payer les taxes pour les dommages causés par leurs produits. S’il arrive qu’à la Cop 29 les doléances venaient à être adoptées quelles sont les mesures prises pour contraindre les pollueurs à s’acquitter des taxes ?

Quelque soient les mesures qui peuvent être prises à l’issue de la COP 29, la question des rapports de force déséquilibrée, des influences et même des enjeux pour les Etats sont des réalités qui illustrent la complexité et les difficultés de leur mise en œuvre. Cette dernière dépend en effet de nombreux facteurs au rang desquels la volonté politique des Etats qui est primordiale ; ensuite viennent des facteurs secondaires tel que la coopération internationale, la capacité à surmonter les résistances des industries concernées, sans oublier les réalités économiques et de développement spécifiques liés au continent, pour ce qui est des pays africains.

Toutefois, quelques mécanismes et approches de contraintes peuvent être relevés comme pouvant inciter les pollueurs à payer pour les dommages climatiques. Ce sont : des Mécanismes de mise en conformité via des comités de conformité qui pourraient être mis en place pour surveiller et évaluer le respect des engagements et ainsi envisager des sanctions économiques et/ou diplomatiques pour les pays non-conformes ; un Cadre juridique international c’est-à-dire un accord international établissant des obligations légales pour les pays signataires et que ceux-ci devraient obligatoirement transposer dans leur législation nationale ; la création d’un Tribunal ayant des Responsabilités juridiques étendues, avec des lois permettant de poursuivre les entreprises pour les dommages climatiques ainsi que la possibilité de litiges climatiques transnationaux ; Une divulgation obligatoire pour exiger des entreprises qu’elles publient leurs émissions et leur exposition aux risques climatiques ; des Conditionnalités pour des aides et financements qui pourraient lier l’accès aux financements publics et aux marchés à la conformité avec les objectifs climatiques ; des Accords sectoriels qui consisteraient à négocier des accords spécifiques pour les secteurs fortement émetteurs, avec des objectifs et des sanctions propres ; des Fonds de compensation alimentés par les taxes sur les industries polluantes pour financer l’adaptation et les pertes et préjudices. Cette liste n’est pas exhaustive.

Les Cop se multiplient au fil des ans, les recommandations sont adoptées sur les financements climatiques mais rien ne marche. Qu’est-ce qui cloche selon vous ?

La principale entrave selon moi est le manque de volonté politique. Ce sont les Etats qui signent les accords et s’engagent à mettre en œuvre les recommandations qui y sont contenues. Aussi, les manquements jusqu’ici observés découlent du laxisme des Etats qui sont les acteurs principaux et qui ont tendance à sacrifier l’environnement et ceux qui en dépendent sur l’autel du développement « à tout-va ».

Par ailleurs, il y a une sorte de duperie et d’hypocrisie observée chez certains acteurs, en l’occurrence les pays développés qui sont ceux sensés fournir ces financements aux PED, tout au moins pour ce qui est des sources publiques. On ne peut pas objectivement expliquer pourquoi l’objectif des 100 milliard n’a pas été atteint alors que dans le même temps (depuis 2020 par exemple), plus de 2.000 mille milliards USD ont été alloués pour l’armement, plus 7.000 milliards USD pour l’exploitation d’hydrocarbures et dérivés, plus de 11.000 milliards USD pour la réponse au COVID-19 et la relance des économies des pays développés. Il est donc clair qu’avec un peu de volonté, mobiliser 1.300 milliards USD ne peut pas être au-dessus des moyens de pays développés.

La fiscalité est abondamment utilisée dans les pays développés, soit directement, soit indirectement dans les politiques environnementales. Existe-t-il une politique fiscale dans les pays en voie de développement ? Oui, de nombreux pays en voie de développement ont mis en place des politiques fiscales environnementales mais généralement à une échelle plus limitée et avec des approches différentes de celles des pays développés.

Plusieurs africains ont mis en place des taxes sur l’extraction de ressources naturelles, des droits d’accise sur les carburants, des taxes sur la pollution de l’eau ou de l’air ou encore des incitations fiscales pour les énergies renouvelables. Au Cameroun et dans la sous-région Afrique Centrale par exemple, des approches de fiscalité innovante tel que des systèmes de paiement pour services écosystémiques sont en cours de mise en œuvre dans le cadre de projets environnementaux pilotés par l’Autorité au Bassin du Niger (confer le FRACC/PSE), ainsi que la mise en place de fonds environnementaux alimentés par des taxes spécifiques. Mais de nombreux obstacles existent encore qui nécessitent d’être levés pour leur pleine effectivité, à l’instar des capacités administratives limitées pour mettre en œuvre des systèmes fiscaux complexes, les préoccupations concernant l’impact sur la compétitivité économique, ou encore le besoin de concilier objectifs environnementaux et de développement économique.Quelles sont les différents types de mesures fiscales susceptibles d’être utilisées comme instruments d’une politique de gestion de l’environnement ?

Différents types de mesures fiscales sont couramment utilisées comme instruments de politique de gestion de l’environnement. Certaines mesures fiscales comme les Taxes environnementales directes visent à décourager les activités polluantes en augmentant leur coût, comme la Taxe carbone sur les émissions de gaz à effet de serre, les taxes sur les polluants atmosphériques (NOx, SO2), les taxes sur les pesticides ou les engrais, les redevances sur l’extraction de ressources naturelles, etc. D’autres mesures tel que les incitations fiscales (ou « taxes négatives ») offrent des avantages fiscaux pour encourager des comportements respectueux de l’environnement. Sont compris dans cette catégorie, les crédits d’impôt pour l’installation de panneaux solaires, les amortissements accélérés pour les investissements dans des technologies propres, les taux de TVA réduits sur les produits écologiques, des exonérations fiscales pour les entreprises engagées dans le recyclage, des taxes sur les déchets mis en décharge, etc.

Une troisième catégorie de mesures fiscales permet d’utiliser les forces du marché pour allouer efficacement les ressources et réduire la pollution de manière rentable. Ce sont les Systèmes de tarification basés sur le marché dont on peut citer : les Mécanismes de développement propre (MDP) du protocole de Kyoto ; les systèmes de plafonnement et d’échange (cap-and-trade) pour les émissions de CO2 ; les systèmes de compensation carbone volontaire, etc. Toutefois, chacune de ces mesures a ses avantages et inconvénients.

Interview menée par Marcial Nzemie