LatestNews

Bordeaux en France : le calvaire des immigrés clandestins africains

Des milliers d’africains sans papiers, vivant parfois en squat avec des familles, versent dans le métier de livreurs à vélo pour survivre à Bordeaux. Une sorte d’esclavage moderne…

Dans la salle d’accueil de la Maison des livreurs à Bordeaux ce jeudi après-midi, Konan* joue au ‘’babyfoot’’ avec des amis, sous le regard passionné des spectateurs. Il semble être très apte et plus fort que les trois autres jeunes qui se succèdent face à lui, pendant trois partie de jeu. Ce sont tous des livreurs à vélo, qui se distraient en attendant d’aller travailler. « On vient ici recharger nos batteries et nous mettre à l’aise, tout en nous reposant », lance le champion du ‘’babyfoot’’, 27 ans, d’origine ivoirienne.

Bottes aux pieds, un pardessus appelé ‘’imperméable’’ au corps, Konan vit à 15 kilomètres de ce lieu de retrouvaille à la 14 rue du Fort Louis à Bordeaux, ouvert à partir de 15 heures chaque jour. C’est après avoir accompagné son enfant à l’école ce matin, qu’il s’est apprêté pour se rendre à la place de la victoire à 10 heures, pour espérer avoir des commandes de livraisons de nourritures, des fleurs ou autres produits de la part des grandes surfaces ou des maisons. Ce père de famille -dont la compagne est enceinte en ce moment-, a été obligé de braver la pluie, pour aller chercher de quoi assumer ses responsabilités. Tant qu’il n’est pas 2 heures du matin, il ne rentre pas.

Ils travaillent sous une fausse identité

Selon lui, « être livreur n’est pas du tout facile, car la plupart d’entre nous, sommes sans papiers et on fait les sous-locations de comptes ». Il s’agit en fait, de l’utilisation des comptes des personnes en situation régulière, pour travailler, moyennant un pourcentage, qualifié d’excessif par plusieurs livreurs à vélo : « certains prennent 40% sur ce qu’on gagne par semaine, d’autres 50%, les plus gentils coupent 30%. C’est une question de chance ». Il faut surtout préciser que ces travailleurs (livreurs à vélo) ne connaissent pas les propriétaires des comptes en question.

Livreurs à vélo : une activité florissante à Bordeaux. ©A.K.N.

Vivant avec des niveaux de revenus très faibles, ils doivent donc travailler encore plus, pour se faire un salaire minimum. Gwenaël Badets, journaliste à Sud ouest, traitant régulièrement de ce sujet, renseigne d’ailleurs qu’« ils sont insérés dans l’économie locale, paient des cotisations et des impôts, mais n’ont pas le droit d’avoir des papiers ». Ce paradoxe peut s’expliquer par le fait que les conditions de régularisation par le travail sont restrictives en France : les bulletins ne sont pas aux vrai noms des livreurs à vélo, puisqu’ils travaillent sous une fausse identité.

La livraison à vélo n’a pas été retenue dans les secteurs en tension qui permettent d’espérer une régularisation. Ce qui se compliquera davantage dans le climat actuel.»

Gwenaël Badets, journaliste

« … Un moyen de survie »

Sur les 3.000 livreurs à vélo (chiffres officiels) qui existent à Bordeaux, environ 400 sont sans domiciles fixes. Et la Maison des livreurs compte 350 adhérents actuellement, si l’on s’en tient aux propos de Jonathan L’Utile Chevallier, coordinateur de la Maison des livreurs. « Il y a beaucoup de personne qui font la livraison sans papiers, confirme-t-il. Mais c’est un moyen de survie. Evidemment que la situation n’est pas idéale, mais que faire d’autres quand vous dormez à la rue, quand vous avez faim, vous avez des enfants, une femme, une famille à nourrir ? Pour ces personnes, il faut s’en sortir. »

A ces conditions de travail précaires malheureusement, s’ajoute également le comportement désagréable de certains clients qui, parfois, rendent cette activité plus difficile. « La clientèle est souvent raciste. Il y a des femmes qui ne veulent même pas de contact avec nous. Elles te disent dépose la commande ailleurs, elles viennent récupérer », révèle Konan en secouant tristement la tête.

On accuse les plateformes de mettre en danger les livreurs, de mal les payer, de les mettre en insécurité, de ne pas respecter leur dignité. »

Ainsi, en tant qu’aventuriers, le seul rêve des livreurs à vélo sans papier, est d’avoir les documents nécessaires, d’avoir des logements, de travailler librement pour pourvoir aussi se rendre dans leurs pays d’origine comme ils veulent et quand ils le souhaitent. Pour l’instant, le peu d’argent que beaucoup d’entre eux réussissent à envoyer à leurs proches pour investir au pays, est dilapidé.

* Nom d’emprunt attribué, par mesure de protection.

Arnaud Kevin Ngano, de retour de Bordeaux en France